Selected Poems (Penguin Classics) Read online

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  I shall be your coffin, beloved pestilence! the witness to your strength and to your virulence, dear poison mixed by the angels! liquor which is eating me away, o the life and the death of my heart!

  35 (XLIX) Le Poison

  Le vin sait revêtir le plus sordide bouge

  D’un luxe miraculeux,

  Et fait surgir plus d’un portique fabuleux

  Dans l’or de sa vapeur rouge,

  Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.

  L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes,

  Allonge l’illimité,

  Approfondit le temps, creuse la volupté,

  Et de plaisirs noirs et mornes

  Remplit l’âme au-delà de sa capacité.

  Tout cela ne vaut pas le poison qui découle

  De tes yeux, de tes yeux verts,

  Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers…

  Mes songes viennent en foule

  Pour se désaltérer à ces gouffres amers.

  Tout cela ne vaut pas le terrible prodige

  De ta salive qui mord,

  Qui plonge dans l’oubli mon âme sans remords,

  Et, charriant le vertige,

  La roule défaillante aux rives de la mort!

  * * *

  Poison

  Wine can clothe the most sordid den in miraculous luxury, and makes more than one fairy-tale portico rise up in the gold of its red vapours, like a setting sun in a misty sky.

  Opium enlarges that which is boundless, extends the unlimited, deepens time, digs further into pleasure, and fills the soul with black gloomy pleasures to its capacity and more.

  All that is nothing compared to the poison which flows from your eyes, from your green eyes, lakes where my soul trembles and sees itself upside down… My dreams crowd to slake their thirst in those bitter gulfs.

  All that is nothing, compared to the terrible prodigy of your biting saliva, which plunges my soul into oblivion without remorse and, bearing vertigo on its waves, casts it up fainting on the shores of death.

  36 (LI) Le Chat

  I

  Dans ma cervelle se promène,

  Ainsi qu’en son appartement,

  Un beau chat, fort, doux et charmant.

  Quand il miaule, on l’entend à peine,

  Tant son timbre est tendre et discret;

  Mais que sa voix s’apaise ou gronde,

  Elle est toujours riche et profonde.

  C’est là son charme et son secret.

  Cette voix, qui perle et qui filtre

  Dans mon fonds le plus ténébreux,

  Me remplit comme un vers nombreux

  Et me réjouit comme un philtre.

  Elle endort les plus cruels maux

  Et contient toutes les extases;

  Pour dire les plus longues phrases,

  Elle n’a pas besoin de mots.

  Non, il n’est pas d’archet qui morde

  Sur mon cœur, parfait instrument,

  Et fasse plus royalement

  Chanter sa plus vibrante corde,

  Que ta voix, chat mystérieux,

  Chat séraphique, chat étrange,

  En qui tout est, comme en un ange,

  Aussi subtil qu’harmonieux!

  II

  De sa fourrure blonde et brune

  Sort un parfum si doux, qu’un soir

  J’en fus embaumé, pour l’avoir

  Caressée une fois, rien qu’une.

  C’est l’esprit familier du lieu;

  Il juge, il préside, il inspire

  Toutes choses dans son empire;

  Peut-être est-il fée, est-il dieu?

  Quand mes yeux, vers ce chat que j’aime

  Tirés comme par un aimant,

  Se retournent docilement

  Et que je regarde en moi-même,

  Je vois avec étonnement

  Le feu de ses prunelles pâles,

  Clairs fanaux, vivantes opales,

  Qui me contemplent fixement.

  * * *

  The Cat

  I

  In my brain there walks about, as if in his own rooms, a fine cat, strong, gentle and delightful. When he miaows, you can hardly hear him,

  His tone is so tender and discreet; but whether his voice is peaceful or angry it is always rich and profound. That is his charm and his secret.

  This voice, which seeps and trickles through my darkest depths, satisfies me like a rhythmical line of verse and fills me with joy like a philtre.

  It dulls the cruellest pains and contains all ecstasies; to speak the longest sentences it does not need words.

  No, there is no bow that can cut into my heart, that perfect instrument, and make its most resonant string sing more royally,

  Than your voice, mysterious cat, seraphic cat, strange cat, in whom everything is, as in an angel, no less subtle than harmonious.

  II

  From his blond and brown fur comes a smell so sweet that one evening I was all perfumed with it after having stroked him once, just once.

  He is the familiar spirit of the place; he judges, he presides, he inspires everything within his empire; perhaps he is a fairy, a god?

  When my eyes, drawn as if by a magnet to this cat I love, turn again docilely towards him, and when I look into myself,

  I am astonished to see the fire of his pale eyes, bright beacons, living opals, looking at me with a fixed gaze.

  37 (LII) Le Beau Navire

  Je veux te raconter, ô molle enchanteresse!

  Les diverses beautés qui parent ta jeunesse;

  Je veux te peindre ta beauté,

  Où l’enfance s’allie à la maturité.

  Quand tu vas balayant l’air de ta jupe large,

  Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large,

  Chargé de toile, et va roulant

  Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.

  Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,

  Ta tête se pavane avec d’étranges grâces;

  D’un air placide et triomphant

  Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.

  Je veux te raconter, ô molle enchanteresse!

  Les diverses beautés qui parent ta jeunesse;

  Je veux te peindre ta beauté,

  Où l’enfance s’allie à la maturité.

  Ta gorge que s’avance et qui pousse la moire,

  Ta gorge triomphante est une belle armoire

  Dont les panneaux bombés et clairs

  Comme les boucliers accrochent des éclairs;

  Boucliers provocants, armés de pointes roses!

  Armoire à doux secrets, pleine de bonnes choses,

  De vins, de parfums, de liqueurs

  Qui feraient délirer les cerveaux et les cœurs!

  Quand tu vas balayant l’air de ta jupe large,

  Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large,

  Chargé de toile, et va roulant

  Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.

  Tes nobles jambes, sous les volants qu’elles chassent,

  Tourmentent les désirs obscurs et les agacent,

  Comme deux sorcières qui font

  Tourner un philtre noir dans un vase profond.

  Tes bras, qui se joueraient des précoces hercules,

  Sont des boas luisants les solides émules,

  Faits pour serrer obstinément,

  Comme pour l’imprimer dans ton cœur, ton amant.

  Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,

  Ta tête se pavane avec d’étranges grâces;

  D’un air placide et triomphant

  Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.

  * * *

  The Beautiful Ship

  I want to tell you, o soft enchantress, of the varied beauties which adorn your young body; I wish to paint for you your beauty, where childhood joins with maturity.

  When you go along, sweeping the air with your wide skirt, you have the look of
a fine vessel putting out to sea, laden with sail, and rolling in a gentle rhythm, lazy and slow.

  On your broad, round neck, on your plump shoulders, your head bears itself high, with strange, graceful airs; placid and triumphant, you go your way, majestic child.

  I want…

  Your thrusting bosom, pushing at the silk, your triumphant bosom is a fine cupboard whose panels, convex and bright, are like shields catching shafts of light.

  Provoking shields, armed with pink points! Cupboard with sweet secrets, full of good things, of wines, of perfumes, of cordials which would drive brains and hearts wild!

  When you go along…

  Your noble legs, under the flounces which they drive along, torment hidden desires and stir them up, like two witches turning a black philtre in a deep vessel.

  Your arms, which would make short work of a precocious Hercules, are solid rivals to gleaming boa constrictors, made to squeeze your lover unyieldingly, as if to leave his impression on your heart.

  On your broad, round neck…

  38 (LIII) L’Invitation au Voyage

  Mon enfant, ma sœur,

  Songe à la douceur

  D’aller là-bas vivre ensemble!

  Aimer à loisir,

  Aimer et mourir

  Au pays qui te ressemble!

  Les soleils mouillés

  De ces ciels brouillés

  Pour mon esprit ont les charmes

  Si mystérieux

  De tes traîtres yeux,

  Brillant à travers leurs larmes.

  Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

  Luxe, calme et volupté.

  Des meubles luisants,

  Polis par les ans,

  Décoreraient notre chambre;

  Les plus rares fleurs

  Mêlant leurs odeurs

  Aux vagues senteurs de l’ambre,

  Les riches plafonds,

  Les miroirs profonds,

  La splendeur orientale,

  Tout y parlerait

  A l’âme en secret

  Sa douce langue natale.

  Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

  Luxe, calme et volupté.

  Vois sur ces canaux

  Dormir ces vaisseaux

  Dont l’humeur est vagabonde; .

  C’est pour assouvir

  Ton moindre désir

  Qu’ils viennent du bout du monde.

  – Les soleils couchants

  Revêtent les champs,

  Les canaux, la ville entière,

  D’hyacinthe et d’or;

  Le monde s’endort

  Dans une chaude lumière.

  Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

  Luxe, calme et volupté.

  * * *

  The Invitation to the Voyage

  Child, sister, think of the sweetness of going to that far country to live together! To love at our leisure, to love and to die in the country which is like you! The watery suns of those overcast skies have, for my spirit, the same mysterious charm as your killing eyes, shining through their tears.

  There, there is nothing but order and beauty, luxury, calm and sensual pleasure.

  Shining furniture, polished by the years, would decorate our room; the rarest flowers, mingling their scents with the vague perfume of ambergris; the rich ceilings, the deep mirrors, the oriental splendour, everything would speak to the soul in secret its sweet native tongue.

  There…

  See, on the canals, the vessels sleeping, their wandering humour stilled; it is to satisfy your every desire that they have come from the ends of the earth. The setting suns clothe the fields, the canals, the whole city, in hyacinth and gold; the world is falling asleep in a warm light.

  There…

  39 (LIV) L’Irréparable

  Pouvons-nous étouffer le vieux, le long Remords,

  Qui vit, s’agite et se tortille,

  Et se nourrit de nous comme le ver des morts,

  Comme du chêne la chenille?

  Pouvons-nous étouffer l’implacable Remords?

  Dans quel philtre, dans quel vin, dans quelle tisane,

  Noierons-nous ce vieil ennemi,

  Destructeur et gourmand comme la courtisane,

  Patient comme la fourmi?

  Dans quel philtre? – dans quel vin? – dans quelle tisane?

  Dis-le, belle sorcière, oh! dis, si tu le sais,

  A cet esprit comblé d’angoisse

  Et pareil au mourant qu’écrasent les blessés,

  Que le sabot du cheval froisse,

  Dis-le, belle sorcière, oh! dis, si tu le sais,

  A cet agonisant que le loup déjà flaire

  Et que surveille le corbeau,

  A ce soldat brisé! s’il faut qu’il désespère

  D’avoir sa croix et son tombeau;

  Ce pauvre agonisant que déjà le loup flaire!

  Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir?

  Peut-on déchirer des ténèbres

  Plus denses que la poix, sans matin et sans soir,

  Sans astres, sans éclairs funèbres?

  Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir?

  L’Espérance qui brille aux carreaux de l’Auberge

  Est soufflée, est morte à jamais!

  Sans lune et sans rayons, trouver où l’on héberge

  Les martyrs d’un chemin mauvais!

  Le Diable a tout éteint aux carreaux de l’Auberge!

  Adorable sorcière, aimes-tu les damnés?

  Dis, connais-tu l’irrémissible?

  Connais-tu le Remords, aux traits empoisonnés,

  A qui notre cœur sert de cible?

  Adorable sorcière, aimes-tu les damnés?

  L’Irréparable ronge avec sa dent maudite

  Notre âme, piteux monument,

  Et souvent il attaque, ainsi que le termite,

  Par la base le bâtiment.

  L’Irréparable ronge avec sa dent maudite!

  – J’ai vu parfois, au fond d’un théâtre banal

  Qu’enflammait l’orchestre sonore,

  Une fée allumer dans un ciel infernal

  Une miraculeuse aurore;

  J’ai vu parfois au fond d’un théâtre banal

  Un être, qui n’était que lumière, or et gaze,

  Terrasser l’énorme Satan;

  Mais mon cœur, que jamais ne visite l’extase,

  Est un théâtre où l’on attend

  Toujours, toujours en vain, l’Etre aux ailes de gaze!

  * * *

  The Irreparable

  Can we stifle that old, that long Remorse, who lives, moves, writhes and feeds on us as the worm on the dead? As the caterpillar on the oak tree? Can we stifle implacable Remorse?

  In what philtre, in what wine, in what infusion shall we drown that old enemy, destructive and greedy as the courtesan, patient as the ant? In what philtre, in what wine, in what infusion?

  Tell me, beautiful witch, speak, if you can, to this spirit overborne with anguish and like to the dying man being crushed by the wounded, bruised by the horse’s hoof, tell him, beautiful witch, if you can,

  This dying man whom the wolf already scents, and over whom the crow keeps watch, this broken soldier! Say if he must despair of having his cross and his grave, poor dying wretch whom already the wolf scents!

  Can we light up a muddy, black sky? Can we tear through darkness thicker than pitch, without morning or evening, without stars, without funereal lightning? Can we light up a muddy, black sky?

  Hope which shines in the windows of the Inn has been blown out, is dead for ever! Without moon or rays, how to find a shelter for the martyrs of a wicked road? The Devil has doused all the lights in the windows of the Inn!

  Adorable witch, do you like damned people? Tell the truth, do you know the unforgivable sin? Do you know Remorse, with its poisoned arrows and our heart for its target? Adorable witch, do you like the damned?

  The Irreparable gnaws with its cursed tooth at our soul,
that pitiful monument, and often, like the termite, it attacks the edifice from the base. The Irreparable gnaws with its cursed tooth!

  – I have sometimes seen, at the far end of a commonplace theatre, set on fire by the noise of the orchestra, a fairy light up a hellish sky with a miraculous dawn; I have sometimes seen, in a common theatre,

  A being made of nothing but light, gold and gauze strike down huge Satan; but my heart, which ecstasy never visits, is a theatre awaiting for ever, for ever and in vain, the Being with the gauzy wings.

  40 (LVI) Chant d’Automne

  I

  Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres;

  Adieu, vive clarté de nos étés trop courts!

  J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres

  Le bois retentissant sur le pavé des cours.

  Tout l’hiver va rentrer dans mon être: colère,

  Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,

  Et, comme le soleil dans son enfer polaire,

  Mon cœur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé.

  J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe;

  L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd.

  Mon esprit est pareil à la tour qui succombe

  Sous les coups du bélier infatigable et lourd.

  Il me semble, bercé par ce choc monotone,