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Selected Poems (Penguin Classics) Page 8
Selected Poems (Penguin Classics) Read online
Page 8
Et console comme la Nuit;
Et l’harmonie est trop exquise,
Qui gouverne tout son beau corps,
Pour que l’impuissante analyse
En note les nombreux accords.
O métamorphose mystique
De tous mes sens fondus en un!
Son haleine fait la musique,
Comme sa voix fait le parfum!»
* * *
All of Her
The Devil, in my high chamber, came this morning to see me, and, trying to catch me out, said, ‘I should dearly like to know,
‘Among all the beautiful things of which her enchantment is made, among the black or pink objects which make up her charming body
Which is the sweetest?’ – O my soul! You replied to the Abhorred One: ‘Since in Her everything is balm, nothing can be preferred.
‘When everything ravishes me, I do not know if any single thing delights me. She dazzles like the Dawn and consoles like Night;
‘And too exquisite a harmony governs her beautiful body for impotent analysis to be able to note its multiple chords.
‘O mystic metamorphosis of all my senses melted into one! Her breath makes the music as her voice makes the perfume.’
28 (XLII)
Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire,
Que diras-tu, mon cœur, cœur autrefois flétri,
A la très belle, à la très bonne, à la très chère,
Dont le regard divin t’a soudain refleuri?
– Nous mettrons notre orgueil à chanter ses louanges:
Rien ne vaut la douceur de son autorité;
Sa chair spirituelle a le parfum des Anges,
Et son œil nous revêt d’un habit de clarté.
Que ce soit dans la nuit et dans la solitude,
Que ce soit dans la rue et dans la multitude,
Son fantôme dans l’air danse comme un flambeau.
Parfois il parle et dit: «Je suis belle, et j’ordonne
Que pour l’amour de moi vous n’aimiez que le Beau;
Je suis l’Ange gardien, la Muse et la Madone.»
* * *
28
What will you say this evening, poor solitary soul, what will you say, my heart, once-withered heart, to the most beautiful, the best, the dearest one, whose divine look has suddenly made you flower again?
We shall set our pride in singing her praises. Nothing equals the sweetness of her authority; her spiritual flesh has the scent of Angels, and her eye clothes us in a garment of light.
Be it in the night and in solitude, be it in the street and in the multitude, her phantom dances in the air like a burning brand.
Sometimes it speaks and says: ‘I am beautiful, and I command that for love of me you love only the Beautiful; I am the guardian Angel, the Muse and the Madonna!’
29 (XLIII) Le Flambeau Vivant
Ils marchent devant moi, ces Yeux pleins de lumières,
Qu’un Ange très savant a sans doute aimantés;
Ils marchent, ces divins frères qui sont mes frères,
Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés.
Me sauvant de tout piège et de tout péché grave,
Ils conduisent mes pas dans la route du Beau;
Ils sont mes serviteurs et je suis leur esclave;
Tout mon être obéit à ce vivant flambeau.
Charmants Yeux, vous brillez de la clarté mystique
Qu’ont les cierges brûlant en plein jour; le soleil
Rougit, mais n’éteint pas leur flamme fantastique;
Ils célèbrent la Mort, vous chantez le Réveil;
Vous marchez en chantant le réveil de mon âme,
Astres dont nul soleil ne peut flétrir la flamme!
* * *
The Living Torch
They walk before me, those light-filled eyes, which a very wise Angel magnetized, no doubt; they walk, those divine brothers who are my brothers, shaking into my eyes their glittering fires.
Saving me from all snares and all grave sins, they lead my steps in the path of the Beautiful; they are my servants and I am their slave; all my being obeys this living torch.
Enchanting Eyes, you shine with the mystical brightness of candles burning in daylight; the sun reddens, but cannot extinguish their eerie flame;
They celebrate Death, you sing of Awakening; you go forth hymning the awakening of my soul, stars whose flame no sun can wither.
30 (XLIV) Réversibilité
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse,
La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le cœur comme un papier qu’on froisse?
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine,
Les poings crispés dans l’ombre et les larmes de fiel,
Quand la Vengeance bat son infernal rappel,
Et de nos facultés se fait le capitaine?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres,
Qui, le long des grands murs de l’hospice blafard,
Comme des exilés, s’en vont d’un pied traînard,
Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,
Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment
De lire la secrète horreur du dévouement
Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avides?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides?
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,
David mourant aurait demandé la santé
Aux émanations de ton corps enchanté;
Mais de toi je n’implore, ange, que tes prières,
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières!
* * *
Intercession
Angel full of gaiety, do you know anguish, shame, remorse, tears, sufferings, and the vague terrors of those dreadful nights that grip the heart as one crumples a piece of paper? Angel full of gaiety, do you know anguish?
Angel full of goodness, do you know hatred, fists clenched in the shadow and tears of gall, when Revenge beats its hellish mustering call and makes itself captain of our faculties? Angel full of goodness, do you know hatred?
Angel full of health, do you know the Fevers who, along the high walls of the grey workhouse hospital, like exiles, go dragging their feet, seeking the elusive sun and muttering to themselves? Angel full of health, do you know Fevers?
Angel full of beauty, do you know wrinkles, and the fear of growing old, and the hideous torment of reading the secret horror of fidelity in eyes where our eyes so long drank greedily? Angel full of beauty, do you know wrinkles?
Angel full of happiness, of joy and of light, David on his deathbed would have sought health in the emanations of your enchanted body; but from you, angel, I beg only your prayers, angel full of happiness, of joy and of light!
31 (XLV) Confession
Une fois, une seule, aimable et douce femme,
A mon bras votre bras poli
S’appuya (sur le fond ténébreux de mon âme
Ce souvenir n’est point pâli);
Il était tard; ainsi qu’une médaille neuve
La pleine lune s’étalait,
Et la solennité de la nuit, comme un fleuve
Sur Paris dormant ruisselait.
Et le long des maisons, sous les portes cochères,
Des chats passaient furtivement,
L’oreille au guet, ou bien, comme des ombres chères,
Nous accompagnaient lentement.
Tout à coup, au milieu de l’intimité libre
Eclose à la pâle clarté,
De vous, riche et sonore instrument où ne vibre
Que la radieuse gaieté,
> De vous, claire et joyeuse ainsi qu’une fanfare
Dans le matin étincelant,
Une note plaintive, une note bizarre
S’échappa, tout en chancelant
Comme une enfant chétive, horrible, sombre, immonde,
Dont sa famille rougirait,
Et qu’elle aurait longtemps, pour la cacher au monde,
Dans un caveau mise au secret.
Pauvre ange, elle chantait, votre note criarde:
«Que rien ici-bas n’est certain,
Et que toujours, avec quelque soin qu’il se farde,
Se trahit l’égoïsme humain;
Que c’est un dur métier que d’être belle femme,
Et que c’est le travail banal
De la danseuse folle et froide qui se pâme
Dans un sourire machinal;
Que bâtir sur les cœurs est une chose sotte;
Que tout craque, amour et beauté,
Jusqu’à ce que l’Oubli les jette dans sa hotte
Pour les rendre à l’Eternité!»
J’ai souvent évoqué cette lune enchantée,
Ce silence et cette langueur,
Et cette confidence horrible chuchotée
Au confessionnal du cœur.
* * *
Confession
Once, just once, lovable and gentle woman, on my arm your polished arm leaned (on the dark ground of my soul that bright memory has never faded);
It was late; like a new medal the full moon displayed itself, and the solemnity of the night, like a river, streamed over sleeping Paris.
And along the house fronts, under the carriage entrances, cats passed furtively, their ears cocked, or like shades of our dear ones, followed us slowly.
Suddenly, in the middle of the intimate, free mood that had blossomed in the pale light, there came from you, rich and sonorous instrument which resonates only with radiant gaiety,
From you, who are bright and joyous as a fanfare in the glittering morning, one plaintive note, one bizarre note that escaped, tottering
Like a child, a sickly, horrible, dark, unclean little girl, the shame of her family, who, to keep her from the eyes of the world, had long hidden her in some cellar.
Poor baby, she was singing, that harsh note of yours, and saying, ‘That nothing here below is certain, and that always, however carefully it paints its face, human selfishness shows through;
‘That it’s a hard job being a beautiful woman; it’s the repetitive work of the crazy, cold dancer swooning with her mechanical smile;
‘That to build on hearts is a piece of folly, that everything breaks, love and beauty, until Forgetfulness gathers them up in his basket to take them back to Eternity.’
I have often recalled that enchanted moon, that silence and that languor, and that horrible secret whispered in the confessional of the heart.
32 (XLVI) L’Aube Spirituelle
Quand chez les débauchés l’aube blanche et vermeille
Entre en société de l’Idéal rongeur,
Par l’opération d’un mystère vengeur
Dans la brute assoupie un ange se réveille.
Des Cieux Spirituels l’inaccessible azur,
Pour l’homme terrassé que rêve encore et souffre,
S’ouvre et s’enfonce avec l’attirance du gouffre.
Ainsi, chère Déesse, Etre lucide et pur,
Sur les débris fumeux des stupides orgies
Ton souvenir plus clair, plus rose, plus charmant,
A mes yeux agrandis voltige incessamment.
Le soleil a noirci la flamme des bougies;
Ainsi, toujours vainqueur, ton fantôme est pareil,
Ame resplendissante, à l’immortel soleil!
* * *
Spiritual Dawn
When to the lodgings of debauchees the pink and white dawn comes, accompanied by the gnawing Ideal, a vengeful mystery begins to operate: in the torpid brute an angel awakes.
Spiritual Skies in their inaccessible azure open to the earthbound man who still dreams and suffers, and recede before him with the magnetic pull of the abyss. So, dear Goddess, pure and lucid being,
On the smoking debris of crass orgies, the memory of you, brighter, rosier, more enchanting, hovers incessantly before my dilated eyes.
The sun has darkened the flames of the candles; thus, ever victorious, your phantom resembles, o resplendent soul, the immortal sun.
33 (XLVII) Harmonie du Soir
Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir;
Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir;
Valse mélancolique et langoureux vertige!
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir;
Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige;
Valse mélancolique et langoureux vertige!
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.
Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige,
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir!
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir;
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige!
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige…
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir!
* * *
Evening Harmony
Now the times are coming when, vibrating on its stem, each flower rises in vapour like an incense-burner; sounds and scents circle in the evening air, melancholy waltz and languorous vertigo!
Each flower rises in vapour like an incense burner; the violin trembles like a wounded heart; melancholy waltz and languorous vertigo! The sky is sad and beautiful like a great altar of repose;
The violin trembles like a wounded heart, a tender heart which hates the vast, black nothingness! The sky is sad and beautiful like a great altar of repose; the sun has drowned in his curdling blood.
A loving heart, which hates the vast, black nothingness, gathers up every trace of the shining past! The sun has drowned in his curdling blood… Your memory within me shines like a monstrance.
34 (XLVIII) Le Flacon
Il est de forts parfums pour qui toute matière
Est poreuse. On dirait qu’ils pénètrent le verre.
En ouvrant un coffret venu de l’Orient
Dont la serrure grince et rechigne en criant,
Ou dans une maison déserte quelque armoire
Pleine de l’âcre odeur des temps, poudreuse et noire,
Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,
D’où jaillit toute vive une âme qui revient.
Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres,
Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres,
Qui dégagent leur aile et prennent leur essor,
Teintés d’azur, glacés de rose, lamés d’or.
Voilà le souvenir enivrant qui voltige
Dans l’air troublé; les yeux se ferment; le Vertige
Saisit l’âme vaincue et la pousse à deux mains
Vers un gouffre obscurci de miasmes humains;
Il terrasse au bord d’un gouffre séculaire,
Où, Lazare odorant déchirant son suaire,
Se meut dans son réveil le cadavre spectral
D’un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.
Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire
Des hommes, dans le coin d’une sinistre armoire
Quand on m’aura jeté, vieux flacon désolé,
Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,
Je serai ton cercueil, aimable pestilence!
Le témoin de ta force et de ta virulence,
Cher poison préparé par les anges! liqueur
Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon cœur!
* * *
The Phial
/> In the presence of some strong perfumes all matter is porous. They seem to penetrate even glass. On opening a casket brought from the Orient whose lock creaks and protests loudly,
Or, in a deserted house, some cupboard, full of the acrid smell of times past, dusty and dark, sometimes we find an old scent bottle that remembers, from which there springs, all alive, a returning soul.
A thousand thoughts were sleeping, deathly chrysalids, trembling gently in the heavy darkness, which now unfold their wings and take flight, tinged with azure, glazed with pink, shot with gold.
Now here, in a rush, is memory, hovering in the uneasy air; eyes close; dizziness seizes the vanquished soul and pushes her with both hands towards a pit shrouded in human effluvia;
He throws her to the ground on the edge of a centuries-old pit in which, like a stinking Lazarus bursting through his shroud, there moves, awakening, the ghostly corpse of an old love, rancid, delightful and belonging to the grave.
Even so, when I am lost in the memory of men, there in the corner of some gloomy cupboard where I have been thrown, a sorry old phial, decrepit, dusty, dirty, wretched, sticky, cracked,