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Selected Poems (Penguin Classics) Page 10
Selected Poems (Penguin Classics) Read online
Page 10
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui? – C’était hier l’été; voici l’automne!
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.
II
J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,
Douce beauté, mais tout aujourd’hui m’est amer,
Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l’âtre,
Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.
Et pourtant aimez-moi, tendre cœur! soyez mère,
Même pour un ingrat, même pour un méchant;
Amante ou sœur, soyez la douceur éphémère
D’un glorieux automne ou d’un soleil couchant.
Courte tâche! La tombe attend; elle est avide!
Ah! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,
Goûter, en regrettant l’été blanc et torride,
De l’arrière-saison le rayon jaune et doux!
* * *
Autumn Song
I
Soon we shall be plunging into cold darkness; goodbye, living brightness of our too-short summers! I already hear the deadly, echoing thud of logs falling on the paving-stones of courtyards.
All winter will come back into my being: anger, hatred, shudders, horror, hard, forced labour, and, like the sun in its polar hell, my heart will be no more than a red, icy block.
I listen, trembling, to the fall of each log; the building of a scaffold does not have a more hollow echo. My spirit is like the tower, giving way under the blows of the battering-ram, tireless and heavy.
It seems to me, lulled by this monotonous pounding, that someone somewhere is hastily nailing down a coffin. For whom? Yesterday it was summer; now here is autumn! The mysterious sound seems to announce a departure.
II
I love your long eyes with their greenish light, gentle beauty, but everything is bitter to me today, and nothing, neither your love, nor the boudoir, nor the hearth can replace for me the light of the sun on the sea.
But still love me, tender heart! Be a mother even to an ungrateful child, even to someone wicked; mistress or sister, be the ephemeral sweetness of a glorious autumn or of a setting sun.
A short-lived task! The tomb awaits; it is greedy! Ah, let me lie with my head on your knees and taste, as I regret the passing of white, torrid summer, the yellow, soft light of the turn of the year.
41 (LVII) A une Madone
EX-VOTO DANS LE GOÛT ESPAGNOL
Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse,
Un autel souterrain au fond de ma détresse,
Et creuser dans le coin le plus noir de mon cœur,
Loin du désir mondain et du regard moqueur,
Une niche, d’azur et d’or tout émaillée,
Où tu te dresseras, Statue émerveillée.
Avec mes Vers polis, treillis d’un pur métal
Savamment constellé de rimes de cristal,
Je ferai pour ta tête une énorme Couronne;
Et dans ma Jalousie, ô mortelle Madone,
Je saurai te tailler un Manteau, de façon
Barbare, roide et lourd, et doublé de soupçon,
Qui, comme une guérite, enfermera tes charmes;
Non de Perles brodé, mais de toutes mes Larmes!
Ta Robe, ce sera mon Désir, frémissant,
Onduleux, mon Désir qui monte et qui descend,
Aux pointes se balance, aux vallons se repose,
Et revêt d’un baiser tout ton corps blanc et rose.
Je te ferai de mon Respect de beaux Souliers
De satin, par tes pieds divins humiliés,
Qui, les emprisonnant dans une molle étreinte,
Comme un moule fidèle en garderont l’empreinte.
Si je ne puis, malgré tout mon art diligent,
Pour Marchepied tailler une Lune d’argent,
Je mettrai le Serpent qui me mord les entrailles
Sous tes talons, afin que tu foules et railles,
Reine victorieuse et féconde en rachats,
Ce monstre tout gonflé de haine et de crachats.
Tu verras mes Pensers, rangés comme les Cierges
Devant l’autel fleuri de la Reine des Vierges,
Etoilant de reflets le plafond peint en bleu,
Te regarder toujours avec des yeux de feu;
Et comme tout en moi te chérit et t’admire,
Tout se fera Benjoin, Encens, Oliban, Myrrhe,
Et sans cesse vers toi, sommet blanc et neigeux,
En Vapeurs montera mon Esprit orageux.
Enfin, pour compléter ton rôle de Marie,
Et pour mêler l’amour avec la barbarie,
Volupté noire! des sept Péchés capitaux,
Bourreau plein de remords, je ferai sept Couteaux
Bien affilés, et, comme un jongleur insensible,
Prenant le plus profond de ton amour pour cible,
Je les planterai tous dans ton Cœur pantelant,
Dans ton Cœur sanglotant, dans ton Cœur ruisselant!
* * *
To a Madonna
EX-VOTO IN THE SPANISH TASTE
I mean to build for you, Lady, my mistress, an underground altar in the depths of my anguish, and to hollow out, in the blackest corner of my heart, far from worldly desires and mocking eyes, a niche all enamelled in azure and gold, where you will stand, a wonder-struck Statue. Of my polished Verses, cunningly bestarred with crystal rhymes, I shall make for your head an enormous Crown; and from my jealousy, o mortal Madonna, I shall know how to cut for you a Cloak of barbarous fashion, stiff and heavy and lined with suspicion, which will enclose your charms like a sentry-box; it will be embroidered, not with Pearls but with all my Tears. Your Robe will be my Desire, trembling, undulating, my Desire which rises and falls, perching on the peaks, resting in the valleys and clothing all your white and pink body in a kiss. I will make for you from my Respect two fine Shoes of satin, humbled beneath your divine feet and trapping them in a gentle grip, keeping the shape of them like a faithful mould. If I cannot, despite all my diligent art, cut out a silver Moon as your footstool, I shall put under your heels the Serpent that bites my entrails so that you trample and mock him, o victorious Queen, endless source of atonement, mock that monster all puffed up with hatred and spittle. You will see my Thoughts, lined up like candles before the flower-decked altar of the Queen of Virgins, starring the blue ceiling with reflections and always watching you with eyes of fire; and as everything in me cherishes and worships you, everything will become Benzoin, Incense and Myrrh, and unceasingly towards you, as if to a white, snowy summit, my stormy Spirit will rise in vapours.
Finally, to complete your role as Mary, and to mingle love with barbarity, black delight! from the seven deadly Sins, I shall, an executioner filled with remorse, make seven well-honed Knives, and like an unheeding juggler, taking the deepest springs of your love as my target, I shall plant every one of them in your panting Heart, in your sobbing Heart, in your streaming Heart!
42 (LVIII) Chanson d’Après-Midi
Quoique tes sourcils méchants
Te donnent un air étrange
Qui n’est pas celui d’un ange,
Sorcière aux yeux alléchants,
Je t’adore, ô ma frivole,
Ma terrible passion!
Avec la dévotion
Du prêtre pour son idole.
Le désert et la forêt
Embaument tes tresses rudes,
Ta tête a les attitudes
De l’énigme et du secret.
Sur ta chair le parfum rôde
Comme autour d’un encensoir;
Tu charmes comme le soir,
Nymphe ténébreuse et chaude.
Ah! les philtres les plus forts
Ne valent pas ta paresse,
Et tu connais la caresse
Qui fait revivre les morts!
Tes hanches sont amoureuses
De ton dos et de tes seins,
Et tu ravis les coussin
s
Par tes poses langoureuses.
Quelquefois, pour apaiser
Ta rage mystérieuse,
Tu prodigues, sérieuse,
La morsure et le baiser;
Tu me déchires, ma brune,
Avec un rire moqueur,
Et puis tu mets sur mon cœur
Ton œil doux comme la lune.
Sous tes souliers de satin,
Sous tes charmants pieds de soie,
Moi, je mets ma grande joie,
Mon génie et mon destin,
Mon âme par toi guérie,
Par toi, lumière et couleur!
Explosion de chaleur
Dans ma noire Sibérie!
* * *
Afternoon Song
Although your wicked eyebrows give you a strange look which is not that of an angel, witch with the alluring eyes,
I adore you, o my frivolous, my terrifying passion, with the devotion of a priest for his idol.
The desert and the forest lend their scents to your rough tresses, your head has the angles of enigma and secret.
About your flesh perfume hovers as if around a censer; you cast a spell like evening, hot and shadowy nymph.
Ah, the strongest philtres cannot equal your lazy charm, and you know the caress that brings the dead back to life.
Your hips are in love with your back and your breasts, and you excite the cushions with your languorous poses.
Sometimes, to calm your mysterious fury, you cover me, with a serious look, in bites and kisses;
You tear me apart, dark beauty, with a mocking laugh, and then you lay upon my heart your look, gentle as the moon.
Under your satin shoes, under your charming silken feet, I place my greatest joy, my genius and my destiny,
My soul cured by you, by you, light and colour! Explosion of heat in my black Siberia!
43 (LXII) Mœsta et Errabunda
Dis-moi, ton cœur parfois s’envole-t-il, Agathe,
Loin du noir océan de l’immonde cité,
Vers un autre océan où la splendeur éclate,
Bleu, clair, profond, ainsi que la virginité?
Dis-moi, ton cœur parfois s’envole-t-il, Agathe?
La mer, la vaste mer, console nos labeurs!
Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse
Qu’accompagne l’immense orgue des vents grondeurs,
De cette fonction sublime de berceuse?
La mer, la vaste mer, console nos labeurs!
Emporte-moi, wagon! enlève-moi, frégate!
Loin! loin! ici la boue est faite de nos pleurs!
– Est-il vrai que parfois le triste cœur d’Agathe
Dise: Loin des remords, des crimes, des douleurs,
Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate?
Comme vous êtes loin, paradis parfumé,
Où sous clair azur tout n’est qu’amour et joie,
Où tout ce que l’on aime est digne d’être aimé,
Où dans la volupté pure le cœur se noie!
Comme vous êtes loin, paradis parfumé!
Mais le vert paradis des amours enfantines,
Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets,
Les violons vibrant derrière les collines,
Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets,
– Mais le vert paradis des amours enfantines,
L’innocent paradis, plein de plaisirs furtifs,
Est-il déjà plus loin que l’Inde et que la Chine?
Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs,
Et l’animer encor d’une voix argentine,
L’innocent paradis plein de plaisirs furtifs?
* * *
Moesta et Errabunda
Tell me, does your heart ever fly away, Agatha, far from the black ocean of the filthy city, towards another ocean where light explodes, blue, bright, deep as virginity? Tell me, does your heart sometimes fly away, Agatha?
The sea, the vast sea consoles our labours! What demon has endowed the sea, hoarse singer accompanied by the immense organ of the growling winds, with that sublime function of cradling us? The sea, the vast sea consoles our labours!
Take me away, wagon! carry me off, frigate! Far, far away! Here the mud is made of our tears! Is it true that sometimes Agatha’s sad heart says, ‘Take me away, wagon! carry me off, frigate!’?
How far away you are, perfumed paradise, where under a clear blue sky there is nothing but love and joy, where everything one loves is worthy of being loved, where pure pleasure floods the heart? How far away you are, perfumed paradise!
But the green paradise of childish loves, the songs, the kisses, the posies of flowers, the violins throbbing behind the hills with the jugs of wine, at evening, in the glades – But the green paradise of childish loves,
That innocent paradise, full of furtive pleasures, is it already further away than India and than China? Can we call it back with plaintive cries and bring it alive once more with a silvery voice, that innocent paradise full of furtive pleasures?
44 (LXVI) Les Chats
Les amoureux fervents et les savants austères
Aiment également, dans leur mûre saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de le maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.
Amis de la science et de la volupté,
Ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres;
L’Erèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,
S’ils pouvaient au servage incliner leur fierté.
Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin;
Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques,
Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,
Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.
* * *
Cats
Fervent lovers and austere scholars both, in their riper years, love cats, those powerful, soft creatures, the pride of the house, who like them hate the cold and like them are sedentary.
Friends to knowledge and to pleasure, they seek the silence and shivers of darkness; Erebus would have taken them for its messengers of death if they could bend their pride to servitude.
They assume in sleep the noble attitudes of the great sphinxes, stretched out in the furthest places of solitude, who seem to be falling asleep in an endless dream;
Their fertile loins are full of magic sparks, and flecks of gold, like a fine sand, sparkle like vague stars in their mystic pupils.
45 (LXXV) Spleen
Pluviôse, irrité contre la ville entière,
De son urne à grands flots verse un froid ténébreux
Aux pâles habitants du voisin cimetière
Et la mortalité sur les faubourgs brumeux.
Mon chat sur le carreau cherchant une litière
Agite sans repos son corps maigre et galeux;
L’âme d’un vieux poète erre dans la gouttière
Avec la triste voix d’un fantôme frileux.
Le bourdon se lamente, et la bûche enfumée
Accompagne en fausset la pendule enrhumée,
Cependant qu’en un jeu plein de sales parfums,
Héritage fatal d’une vieille hydropique,
Le beau valet de cœur et la dame de pique
Causent sinistrement de leurs amours défunts.
* * *
Spleen
Pluviôse, angry with the whole city, is pouring down from his urn a great flood of chilly darkness upon the pale inhabitants of the nearby cemetery, and raised death rates upon the foggy inner suburbs.
My cat, seeking a sleeping place on the bare floor, restlessly shifts his thin, mangy body; the soul of an old poet is wandering in the roof gutters with the sad voice of a shivering ghost.
The great bell complains, and the smoking log sings a falsetto accompaniment
to the wheezy clock, while in a pack of cards full of dirty smells,
Sinister legacy of a dropsical old woman, the handsome knave of hearts and the queen of clubs talk ominously of their dead loves.
46 (LXXVI) Spleen
J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans.
Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,
De vers, de billets doux, de procès, de romances,
Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,
Cache moins de secrets que mon triste cerveau.
C’est une pyramide, un immense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse commune.
– Je suis un cimetière abhorré de la lune,
Où comme des remords se traînent de longs vers
Qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers.
Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées,
Où gît tout un fouillis de modes surannées,
Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher,
Seuls, respirent l’odeur d’un flacon débouché.
Rien n’égale en longueur les boiteuses journées,
Quand sous les lourds flocons des neigeuses années
L’ennui, fruit de la morne incuriosité,
Prend les proportions de l’immortalité.
– Désormais tu n’es plus, ô matière vivante!