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Selected Poems (Penguin Classics) Page 7
Selected Poems (Penguin Classics) Read online
Page 7
Et les six autres mois la nuit couvre la terre;
C’est un pays plus nu que la terre polaire;
– Ni bêtes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois!
Or il n’est pas d’horreur au monde qui surpasse
La froide cruauté de ce soleil de glace
Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos;
Je jalouse le sort des plus vils animaux
Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide,
Tant l’écheveau du temps lentement se dévide!
* * *
De Profundis Clamavi
I implore your pity, you, the sole being that I love, from the depths of the dark pit where my heart has fallen. It is a bleak universe with leaden horizons in whose darkness float horror and blasphemy;
A sun without heat hangs above it for six months and for the other six months night covers the earth. It is a country barer than the lands at the pole – no animals, no streams, no green growth, no woods!
Now there is no horror in the world that can surpass the cold cruelty of that icy sun, and that vast night, boundless as old Chaos;
I envy the fate of the lowest animals who can plunge into a stupor of sleep, so slowly does the spool of time unwind.
21 (XXXI) Le Vampire
Toi qui, comme un coup de couteau,
Dans mon cœur plaintif es entrée;
Toi qui, forte comme un troupeau
De démons, vins, folle et parée,
De mon esprit humilié
Faire ton lit et ton domaine;
– Infâme à qui je suis lié
Comme le forçat à la chaîne,
Comme au jeu le joueur têtu,
Comme à la bouteille l’ivrogne,
Comme aux vermines la charogne,
– Maudite, maudite sois-tu!
J’ai prié le glaive rapide
De conquérir ma liberté,
Et j’ai dit au poison perfide
De secourir ma lâcheté.
Hélas! le poison et le glaive
M’ont pris en dédain et m’ont dit:
«Tu n’es pas digne qu’on t’enlève
A ton esclavage maudit,
Imbécile! – de son empire
Si nos efforts te délivraient,
Tes baisers ressusciteraient
Le cadavre de ton vampire!»
* * *
The Vampire
You who, like a knife thrust, entered my cringing heart; you who, strong as a troop of demons, came, gaily adorned,
To my prostrate spirit, to make of it your bed and your kingdom; Wretch to whom I am bound as the convict to his chain,
As the stubborn gambler to the table, as the drunkard to the bottle, as the corpse to the worms – curses, curses be upon you!
I begged the rapid blade to win me my liberty, and I called on treacherous poison to help out my cowardice.
Alas! poison and sword turned from me and said, ‘You are not worthy to be taken from your accursed slavery,
‘Fool! – if from her power our efforts were to deliver you, your kisses would resuscitate the body of your vampire!’
22 (XXXIV) Le Chat
Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d’agate.
Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s’enivre du plaisir
De palper ton corps électrique,
Je vois ma femme en esprit. Son regard,
Comme le tien, aimable bête,
Profond et froid, coupe et fend comme un dard,
Et, des pieds jusques à la tête,
Un air subtil, un dangereux parfum
Nagent autour de son corps brun.
* * *
The Cat
Come, my dear cat, here on my lovesick heart; hold in your claws, and let me plunge into your beautiful eyes with their mixture of metal and agate.
When my fingers are slowly stroking your head and your supple back, and my hand is becoming intoxicated with the pleasure of touching your electric body,
I see my woman in my mind’s eye. Her look, like yours, delightful creature, is deep and cold, and cuts and splits like a blade,
And, from her feet to her head, a subtle air, a dangerous perfume float around her brown body.
23 (XXXVI) Le Balcon
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,
O toi, tous mes plaisirs! ô toi, tous mes devoirs!
Tu te rappelleras la beauté des caresses,
La douceur du foyer et le charme des soirs,
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses!
Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon,
Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses.
Que ton sein m’était doux! que ton cœur m’était bon!
Nous avons dit souvent d’impérissables choses
Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées!
Que l’espace est profond! que le cœur est puissant!
En me penchant vers toi, reine des adorées,
Je croyais respirer le parfum de ton sang.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées!
La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison,
Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,
Et je buvais ton souffle, ô douceur! ô poison!
Et tes pieds s’endormaient dans mes mains fraternelles.
La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison.
Je sais l’art d’évoquer les minutes heureuses,
Et revis mon passé blotti dans tes genoux.
Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses
Ailleurs qu’en ton cher corps et qu’en ton cœur si doux?
Je sais l’art d’évoquer les minutes heureuses!
Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,
Renaîtront-ils d’un gouffre interdit à nos sondes,
Comme montent au ciel les soleils rajeunis
Après s’être lavés au fond des mers profondes?
– O serments! ô parfums! ô baisers infinis!
* * *
The Balcony
Mother of memories, mistress of mistresses, o you, all my pleasures! o you, all my duties! You will remember the beauty of caresses, the sweet warmth of the fireside and the charm of evenings, mother of memories, mistress of mistresses!
The evenings lit up by the burning of coals and the evenings on the balcony, veiled in pink vapours. How sweet your breast was to me, how warm your heart! We often said unforgettable things on those evenings lit up by the burning of coals.
How beautiful the suns are in warm evenings! How deep space is, how powerful the heart! As I leaned towards you, queen of adored ones, I felt I was breathing in the perfume of your blood. How beautiful the suns are in warm evenings!
Night thickened like a wall and my eyes, in the darkness, guessed at your pupils, and I drank in your breath, o sweetness! o poison! And your feet drifted into sleep, held in my brotherly hands. Night thickened like a wall.
I know the art of calling up moments of happiness and relive my past, my head buried in your lap. For why would I look for your languorous beauties elsewhere than in your dear body and in your loving heart? I know the art of calling up moments of happiness.
Those promises, those perfumes, those endless kisses, will they be born again from deeps our plumb-lines cannot reach, as the rejuvenated suns rise up to heaven, having washed themselves in the depths of the seas? O promises, perfumes, endless kisses!
24 (XXXVII) Le Possédé
Le soleil s’est couvert d’un crêpe. Comme lui,
O Lune de ma vie! emmitoufle-toi d’ombre;
Dors ou fume à ton gré; sois muette, sois sombre,
Et pl
onge tout entière au gouffre de l’Ennui;
Je t’aime ainsi! Pourtant, si tu veux aujourd’hui,
Comme un astre éclipsé qui sort de la pénombre,
Te pavaner aux lieux que la Folie encombre,
C’est bien! Charmant poignard, jaillis de ton étui!
Allume ta prunelle à la flamme des lustres!
Allume le désir dans les regards des rustres!
Tout de toi m’est plaisir, morbide ou pétulant;
Sois ce que tu voudras, nuit noire, rouge aurore;
Il n’est pas une fibre en tout mon corps tremblant
Qui ne crie: O mon cher Belzébuth, je t’adore!
* * *
The Possessed One
The sun has covered himself with a mourning veil. Like him, o Moon of my life, muffle yourself up in shadow; sleep or smoke as you please, be mute, be sombre, and plunge yourself wholly into the gulf of Tedium.
I like you that way! On the other hand, if you wish, today, like an eclipsed star coming out of its penumbra, to parade in the places where Folly crowds, that’s good too. Charming dagger, spring from your scabbard!
Light up your eyes at the flame of the chandeliers! Light up desire in the eyes of country clods! Everything that comes from you is pleasure to me, sickly or vivacious;
Be what you will, black night, red dawn; there is not a fibre in my whole, trembling body but cries out, ‘O my dear Beelzebub, I adore you!’
25 (XXXVIII) Un Fantôme
I LES TÉNÈBRES
Dans les caveaux d’insondable tristesse
Où le Destin m’a déjà relégué;
Où jamais n’entre un rayon rose et gai;
Où, seul avec la Nuit, maussade hôtesse,
Je suis comme un peintre qu’un Dieu moqueur
Condamne à peindre, hélas! sur les ténèbres;
Où, cuisinier aux appétits funèbres,
Je fais bouillir et je mange mon cœur,
Par instants brille, et s’allonge, et s’étale
Un spectre fait de grâce et de splendeur.
A sa rêveuse allure orientale,
Quand il atteint sa totale grandeur,
Je reconnais ma belle visiteuse:
C’est Elle! noire et pourtant lumineuse.
II LE PARFUM
Lecteur, as-tu quelquefois respiré
Avec ivresse et lente gourmandise
Ce grain d’encens qui remplit une église,
Ou d’un sachet le musc invétéré?
Charme profond, magique, dont nous grise
Dans le présent le passé restauré!
Ainsi l’amant sur un corps adoré
Du souvenir cueille la fleur exquise.
De ses cheveux élastiques et lourds,
Vivant sachet, encensoir de l’alcôve,
Une senteur montait, sauvage et fauve,
Et des habits, mousseline ou velours,
Tout imprégnés de sa jeunesse pure,
Se dégageait un parfum de fourrure.
III LE CADRE
Comme un beau cadre ajoute à la peinture,
Bien qu’elle soit d’un pinceau très vanté,
Je ne sais quoi d’étrange et d’enchanté
En l’isolant de l’immense nature,
Ainsi bijoux, meubles, métaux, dorure,
S’adaptaient juste à sa rare beauté;
Rien n’offusquait sa parfaite clarté,
Et tout semblait lui servir de bordure.
Même on eût dit parfois qu’elle croyait
Que tout voulait l’aimer; elle noyait
Sa nudité voluptueusement
Dans les baisers du satin et du linge,
Et lente ou brusque, à chaque mouvement
Montrait la grâce enfantine du singe.
IV LE PORTRAIT
La Maladie et la Mort font des cendres
De tout le feu qui pour nous flamboya.
De ces grands yeux si fervents et si tendres,
De cette bouche où mon cœur se noya,
De ces baisers puissants comme un dictame,
De ces transports plus vifs que des rayons,
Que reste-t-il? C’est affreux, ô mon âme!
Rien qu’un dessin fort pâle, aux trois crayons,
Qui, comme moi, meurt dans la solitude,
Et que le Temps, injurieux vieillard,
Chaque jour frotte avec son aile rude…
Noir assassin de la Vie et de l’Art,
Tu ne tueras jamais dans ma mémoire
Celle qui fut mon plaisir et ma gloire!
* * *
A Ghost
I THE DARKNESS
In the vaults of fathomless sadness to which Destiny has already banished me; where no pink, gay ray of light ever enters; where, alone with Night, a gloomy landlady,
I am like a painter condemned by a mocking God to paint, alas, upon the darkness; where, a cook with deathly appetites, I constantly boil and eat my own heart;
There sometimes shines forth, and stretches, and displays itself, a spectre made of grace and splendour. By its dreamy, oriental movements,
When it reaches its full stature, I recognize my beautiful visitor: it is She, black and yet luminous!
II THE PERFUME
Reader, have you sometimes breathed in, with intoxication and slow greediness, the grain of incense which fills a church or the persistent musk of a sachet?
Profound, magical spell which captures us when, in the present, the past is restored! Even so the lover from an adored body plucks memory’s exquisite flower.
From her elastic, heavy hair, a living sachet, thurible of the alcove, a smell arose, savage and wild,
And from the clothes, muslin or velvet, all impregnated with her pure youthfulness, there emanated a scent of fur.
III THE FRAME
As a fine frame adds to the picture, even if it is by a very famous hand, something strange and enchanted, isolating it from the immensity of nature,
So jewels, furniture, metals, gilding, fitted themselves exactly around her rare beauty; nothing obscured her perfect brightness and everything seemed to act as a border around her.
You would even sometimes have said that she believed everything wanted to make love to her; she drowned her nakedness voluptuously
In the kisses of satin and of linen and, slowly or abruptly, showed in each movement the childish grace of the monkey.
IV THE PORTRAIT
Sickness and Death turn to ashes all the fire that blazed for us. Of those great eyes, so fervent and so tender, of that mouth where my heart drowned,
Of those kisses powerful as a wound-salve, of those transports more intense than the sun’s rays, what is there left? It is terrible, o my soul! Nothing but a drawing, very pale, in three colours of chalk,
Which, like me, is dying in solitude, and which Time, that offensive old man, rubs every day with his harsh wing…
Black assassin of Life and Art, you will never kill in my memory her who was my pleasure and my glory.
26 (XXXIX)
Je te donne ces vers afin que si mon nom
Aborde heureusement aux époques lointaines,
Et fait rêver un soir les cervelles humaines,
Vaisseau favorisé par un grand aquilon,
Ta mémoire, pareille aux fables incertaines,
Fatigue le lecteur ainsi qu’un tympanon,
Et par un fraternel et mystique chaînon
Reste comme pendue à mes rimes hautaines;
Etre maudit à qui, de l’abîme profond
Jusqu’au plus haut du ciel, rien, hors moi, ne répond!
– O toi qui, comme une ombre à la trace éphémère,
Foules d’un pied léger et d’un regard serein
Les stupides mortels qui t’ont jugée amère,
Statue aux yeux de jais, grand ange au front d’airain!
* * *
26
I give you these lines so that if my name makes a happy landfall in distant epochs and, one evening,
sets human brains dreaming, a ship driven on by a great north wind,
The memory of you, like uncertain fables, may tire the reader like a rhythmic drone and, by the link of a brotherly and mystical chain, remain attached, as it were, to my lofty rhymes.
Accursed being to whom, from the depths of the abyss to the highest heaven, nothing, apart from myself, corresponds! – O you, who like a shadow with fleeting step,
Tread underfoot, lightly and with a serene gaze, the stupid mortals who called you bitter, statue with eyes of jet, great angel with your forehead of bronze.
27 (XLI) Tout Entière
Le Démon, dans ma chambre haute,
Ce matin est venu me voir,
Et, tâchant à me prendre en faute,
Me dit: «Je voudrais bien savoir,
Parmi toutes les belles choses
Dont est fait son enchantement,
Parmi les objets noirs ou roses
Qui composent son corps charmant,
Quel est le plus doux.» – O mon âme!
Tu répondis à l’Abhorré:
«Puisqu’en Elle tout est dictame,
Rien ne peut être préféré.
Lorsque tout me ravit, j’ignore
Si quelque chose me séduit.
Elle éblouit comme l’Aurore