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Selected Poems (Penguin Classics) Page 6
Selected Poems (Penguin Classics) Read online
Page 6
13 (XXIII) La Chevelure
O toison, moutonnant jusque sur l’encolure!
O boucles! O parfum chargé de nonchaloir!
Extase! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir!
La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Toute un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique!
Comme d’autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour! nage sur ton parfum.
J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l’ardeur des climats;
Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève!
Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts:
Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur;
Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur.
Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse
Dans ce noir océan où l’autre est enfermé;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé!
Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m’enivre ardemment des senteurs confondues
De l’huile de coco, du musc et du goudron.
Longtemps! toujours! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu’à mon désir tu ne sois jámais sourde!
N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir?
* * *
The Head of Hair
O fleece, tumbling in waves upon the neck! o curls! o perfume heavy with carelessness! Ecstasy! To fill, this evening, the dark alcove with the memories sleeping in this head of hair, I want to wave it in the air like a handkerchief.
Languorous Asia and burning Africa, a whole world, distant, absent, which has almost ceased to be, lives in your depths, scented forest! As other minds float on music, mine, o my love, swims on your perfume.
I will go far away where trees and men, full of sap, swoon in long ecstasies under the heat of the suns; strong tresses, be the sea that bears me away! You hold within you, ebony sea, a dazzling dream of sails, of rowers, of flames and of masts:
An echoing port where my soul can drink great draughts of perfume, sound and colour; where the ships, sliding amid gold and silk, open their vast arms to embrace the glory of a pure sky trembling with eternal heat.
I will plunge my head, loving, enraptured, into this dark ocean where the other is enclosed; and my subtle spirit, caressed by the rolling of the waves, will find you once more, o fruitful idleness, infinite rockings of perfumed leisure.
Blue hair, enclosing tent of darkness, you bring back to me the blue of the measureless round sky; on the fluffy edges of your twisted locks I greedily breathe in the intoxicating, mixed smell of coconut oil, musk and tar.
For a long time, for ever, my hand, in your heavy mane, will sow rubies, pearls and sapphires, so that my desire may never find you deaf. Are you not the oasis where I dream, and the gourd from which I drink in long draughts the wine of memory?
14 (XXIV)
Je t’adore à l’égal de la voûte nocturne,
O vase de tristesse, ô grande taciturne,
Et t’aime d’autant plus, belle, que tu me fuis,
Et que tu me parais, ornement de mes nuits,
Plus ironiquement accumuler les lieues
Qui séparent mes bras des immensités bleues.
Je m’avance à l’attaque, et je grimpe aux assauts,
Comme après un cadavre un chœur de vermisseaux,
Et je chéris, ô bête implacable et cruelle!
Jusqu’à cette froideur par où tu m’es plus belle!
* * *
14
I worship you as I worship the vault of the night sky, o vessel of sadness, o great silent one, and love you the more, fair one, the more you flee me, and seem, ornament of my nights, the more ironically to multiply the leagues that separate my arms from the blue immensities.
I move to the attack, and climb into position, like a choir of maggots assaulting a corpse, and I cherish, o implacable and cruel animal, that very coldness which makes you more beautiful to me.
15 (XXV)
Tu mettrais l’univers entier dans ta ruelle,
Femme impure! L’ennui rend ton âme cruelle.
Pour exercer tes dents à ce jeu singulier,
Il te faut chaque jour un cœur au râtelier.
Tes yeux, illuminés ainsi que des boutiques
Et des ifs flamboyants dans les fêtes publiques,
Usent insolemment d’un pouvoir emprunté,
Sans connaître jamais la loi de leur beauté.
Machine aveugle et sourde, en cruautés féconde!
Salutaire instrument, buveur du sang du monde,
Comment n’as-tu pas honte et comment n’as-tu pas
Devant tous les miroirs vu pâlir tes appas?
La grandeur de ce mal où tu te crois savante
Ne t’a donc jamais fait reculer d’épouvante,
Quand la nature, grande en ses desseins cachés,
De toi se sert, ô femme, ô reine des péchés,
– De toi, vil animal, – pour pétrir un génie?
O fangeuse grandeur! sublime ignominie!
* * *
15
You would have the whole universe waiting by your bed, impure woman! Boredom makes your soul cruel. To exercise your teeth in that singular game, you need a new heart in the manger every day. Your eyes, lit up like shops or illuminated yew trees at public festivals, insolently make use of a borrowed power, without ever knowing the law of their beauty.
Blind and deaf machine, fertile in cruelties! Saving instrument, drinker of the world’s blood, how can you not be ashamed, and how can you not have seen in every mirror the fading of your charms? The greatness of this evil in which you consider yourself knowledgeable, has it never, then, made you draw back in fear, when Nature, great in her hidden designs, makes use of you, o woman, o queen of sin – of you, base animal – to mould a genius?
O sullied grandeur! sublime ignominy!
16 (XXVI) Sed Non Satiata
Bizarre déité, brune comme les nuits,
Au parfum-mélangé de musc et de havane,
Œuvre de quelque obi, le Faust de la savane,
Sorcière au flanc d’ébène, enfant des noirs minuits,
Je préfère au constance, à l’opium, au nuits,
L’élixir de ta bouche où l’amour se pavane;
Quand vers toi mes désirs partent en caravane,
Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis.
Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton âme,
O démon sans pitié! verse-moi moins de flamme;
Je ne suis pas le Styx pour t’embrasser neuf fois,
Hélas! et je ne puis, Mégère libertine,
Pour briser ton courage et te mettre aux abois,
Dans l’enfer de ton lit devenir Proserpine!
* * *
Sed Non Satiata
Bizarre deity, dark as nights, with your mixed perfume of musk and cigar tobacco, work of some witch-doctor, the Faust of the savanna, ebony-flanked witch, child of dark midnights,
I prefer to Cape wine, to opium, to burgundy, the elixir of your mouth where love parades itself; when the caravan of m
y desires sets out towards you, your eyes are the cistern where my troubles drink.
Through those two great black eyes, smokeholes of your soul, o pitiless demon, pour out less flame upon me; I am not the Styx to embrace you nine times, alas!
And I cannot, o libertine Megaera, break your spirit and make you beg for mercy by, in the hell of your bed, becoming Proserpina.
17 (XXVII)
Avec ses vêtements ondoyants et nacrés,
Même quand elle marche on croirait qu’elle danse,
Comme ces longs serpents que les jongleurs sacrés
Au bout de leurs bâtons agitent en cadence.
Comme le sable morne et l’azur des déserts,
Insensibles tous deux à l’humaine souffrance,
Comme les longs réseaux de la houle des mers,
Elle se développe avec indifférence.
Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants,
Et dans cette nature étrange et symbolique
Où l’ange inviolé se mêle au sphinx antique,
Où tout n’est qu’or, acier, lumière et diamants,
Resplendit à jamais, comme un astre inutile,
La froide majesté de la femme stérile.
* * *
17
With her undulating, iridescent clothes, even when she walks you would think she is dancing, like those long snakes that sacred jugglers shake rhythmically on the ends of their sticks.
Like the bleak sand and the blue sky of deserts, equally unmoved by human suffering; like the long wave-patterns of the seas, she unfolds in her indifference.
Her polished eyes are made of charming minerals, and in this strange and symbolic nature where the inviolate angel mingles with the ancient sphinx,
Where everything is made of gold, steel, light and diamonds, there shines forth for ever, like a useless star, the cold majesty of the sterile woman.
18 (XXVIII) Le Serpent qui Danse
Que j’aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau!
Sur ta chevelure profonde
Aux âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns,
Comme un navire qui s’éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain.
Tes yeux, où rien ne se révèle
De doux ni d’amer,
Sont deux bijoux froids où se mêle
L’or avec le fer.
A te voir marcher en cadence,
Belle d’abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d’un bâton.
Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d’enfant
Se balance avec la mollesse
D’un jeune éléphant,
Et ton corps se penche et s’allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge
Ses vergues dans l’eau.
Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l’eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,
Je crois boire un vin de Bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D’étoiles mon cœur!
* * *
The Dancing Serpent
How I love to look, dear indolent one, at your beautiful body and see, like a shot silk, the changing gleam of your skin!
On your deep hair, with its bitter perfumes, a scented and wandering sea of blue and brown waves,
Like a ship stirring with the wind of morning my dreamy soul sets sail for a distant sky.
Your eyes, in which nothing is revealed, sweet or bitter, are two cold jewels in which gold mingles with iron.
Seeing your rhythmic walk, beautiful in its abandon, one thinks of a serpent dancing at the end of a stick.
Under the weight of your laziness, your child’s head hangs with the soft looseness of a young elephant’s.
And your body sways and stretches like an elegant ship rolling from side to side and pitching its yards in the water.
Like a stream swollen by the melting of grinding glaciers, when the water of your mouth rises to the edge of your teeth,
I feel I am drinking a Bohemian wine, bitter and overpowering, a liquid sky which scatters my heart with stars.
19 (XXIX) Une Charogne
Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d’été si doux:
Au détour d’un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d’exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu’ensemble elle avait joint;
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s’épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l’herbe
Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D’où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s’élançait en pétillant;
On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l’eau courante et le vent,
Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.
Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève
Seulement par le souvenir.
Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d’un œil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu’elle avait lâché.
– Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion!
Oui! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés!
* * *
A Carcass
Remember the sight we saw, my soul, that fine, mild summer morning: round a turning in the path a disgusting carcass on a bed scattered with stones,
Its legs in the air like a woman on heat, burning and sweating poisons, was displaying, in casual and shameless fashion, its belly, full of noxious vapours.
The sun was shining on that mass of rottenness as if to cook it to perfection, and to give back a hundredfold to great Nature all that she had joined together;
And heaven watched the splendid carcass unfolding like a flower. The stench was so strong that you thought you would faint right there, on the grass.
The flies were buzzing on that putrid belly, from which issued black battalions of larvae, flowing like a thick liquid along those living rags.
The whole mass fell and rose like a wave, or erupted in sparkling foam; you would have said that the body, filled with some mysterious breath,
was living and multiplying.
And this world was emitting a strange music, like running water and wind, or the grain which a winnower with a rhythmic movement shakes and turns in his winnowing-basket.
The shapes were fading and were now only a dream, a sketch slow to take shape on the forgotten canvas, which the artist completes only in his memory.
Behind the rocks a restless bitch was watching us with angry eyes, waiting for the moment to reclaim from the skeleton the titbit she had left behind.
And yet you will be like that ordure, that horrible, unclean thing, o star of my eyes, sun of my nature, you, my angel and my passion!
Yes, such you will be, o queen of grace, after the last sacraments, when you will go, under the grass and the fat flowering weeds, to moulder among the dead bones.
Then, o my beauty, say to the vermin who will devour you with kisses, that I have kept the form and the divine essence of my decomposed loves.
20 (xxx) De Profundis Clamavi
J’implore ta pitié, Toi, l’unique que j’aime,
Du fond du gouffre obscur où mon cœur est tombé.
C’est un univers morne à l’horizon plombé,
Où nagent dans la nuit l’horreur et le blasphème;
Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois,