Selected Poems (Penguin Classics) Read online

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  Dawn, shivering in a pink and green dress, was advancing slowly over the deserted Seine, and sombre Paris, rubbing its eyes, was picking up its tools, a hard-working old man.

  LE VIN

  (Wine)

  62 (CVI) Le Vin de l’Assassin

  Ma femme est morte, je suis libre!

  Je puis donc boire tout mon soûl.

  Lorsque je rentrais sans un sou,

  Ses cris me déchiraient la fibre.

  Autant qu’un roi je suis heureux;

  L’air est pur, le ciel admirable…

  Nous avions un été semblable

  Lorsque j’en devins amoureux!

  L’horrible soif qui me déchire

  Aurait besoin pour s’assouvir

  D’autant de vin qu’en peut tenir

  Son tombeau; – ce n’est pas peu dire:

  Je l’ai jetée au fond d’un puits,

  Et j’ai même poussé sur elle

  Tous les pavés de la margelle.

  – Je l’oublierai si je le puis!

  Au nom des serments de tendresse,

  Dont rien ne peut nous délier,

  Et pour nous réconcilier

  Comme au beau temps de notre ivresse,

  J’implorai d’elle un rendez-vous,

  Le soir, sur une route obscure.

  Elle y vint! – folle créature!

  Nous sommes tous plus ou moins fous!

  Elle était encore jolie,

  Quoique bien fatiguée! et moi,

  Je l’aimais trop! voilà pourquoi

  Je lui dis: Sors de cette vie!

  Nul ne peut me comprendre. Un seul

  Parmi ces ivrognes stupides

  Songea-t-il dans ses nuits morbides

  A faire du vin un linceul?

  Cette crapule invulnérable

  Comme les machines de fer

  Jamais, ni l’été ni l’hiver,

  N’a connu l’amour véritable,

  Avec ses noirs enchantements,

  Son cortège infernal d’alarmes,

  Ses fioles de poison, ses larmes,

  Ses bruits de chaîne et d’ossements!

  – Me voilà libre et solitaire!

  Je serai ce soir ivre mort;

  Alors, sans peur et sans remords,

  Je me coucherai sur la terre,

  Et je dormirai comme un chien!

  Le chariot aux lourdes roues

  Chargé de pierres et de boues,

  Le wagon enragé peut bien

  Ecraser ma tête coupable

  Ou me couper par le milieu,

  Je m’en moque comme de Dieu,

  Du Diable ou de la Sainte Table!

  * * *

  The Murderer’s Wine

  My wife’s dead, I am free! Now I can drink as much as I want. When I used to come home broke, her yelling tore my nerves to pieces.

  I’m as happy as a king; the air is clear, the sky is wonderful… We had a summer like this the year I fell in love with her.

  The horrible thirst that’s tearing me apart would need, in order to satisfy it, all the wine that her grave would hold – and that’s saying something:

  I threw her down a well, and I even pushed over on to her all the coping-stones of the wall. I’ll forget her now if I can.

  In the name of all the vows of love we’d made that nothing could undo, and so as to get back together again like in the happy days when we were drunk with love,

  I begged her to meet me one night, on a dark road. She came! She must have been mad, poor thing! Well, we’re all more or less mad!

  She was still pretty, though so tired-looking! and I loved her too much! That’s why I said to her: ‘Out of this life!’

  No one can understand me. Did a single one among those stupid drunks ever dream, in the course of his sickly nights, of making wine into a shroud?

  That bunch of scum, with no more feeling than iron machines, they’ve never, winter or summer, known real love,

  With its black spells, its hellish train of sudden fears, its flasks of poison, its tears, its dragging chains and rattling bones.

  So here I am, free and on my own! Tonight I’ll be blind drunk; then, without fear and without remorse, I’ll lie down on the ground,

  And I’ll sleep like a dog! The cart with its heavy wheels, laden with mud and stones, the raging wagon can

  Crush my guilty head or cut me in two, I don’t give a damn for them any more than for God, the Devil or the Communion Table.

  63 (CVIII) Le Vin des Amants

  Aujourd’hui l’espace est splendide!

  Sans mors, sans éperons, sans bride,

  Partons à cheval sur le vin

  Pour un ciel féerique et divin!

  Comme deux anges que torture

  Une implacable calenture,

  Dans le bleu cristal du matin

  Suivons le mirage lointain!

  Mollement balancés sur l’aile

  Du tourbillon intelligent,

  Dans un délire parallèle,

  Ma sœur, côte à côte nageant,

  Nous fuirons sans repos ni trêves

  Vers le paradis de mes rêves!

  * * *

  The Lover’s Wine

  Today space is magnificent! Without bit, without spurs, without bridle, let us gallop away on the back of wine for a fairy-like, godlike sky!

  Like two angels tortured by an implacable calenture, let us fly into the blue crystal of morning in pursuit of the distant mirage!

  Borne gently on the wing of the understanding whirlwind, in parallel delirium,

  O my sister, swimming side by side, we shall flee without rest or halt towards the paradise of my dreams.

  FLEURS DU MAL

  (Flowers of Evil)

  64 (CXI) Femmes Damnées

  Comme un bétail pensif sur le sable couchées,

  Elles tournent leurs yeux vers l’horizon des mers,

  Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochées

  Ont de douces langueurs et des frissons amers.

  Les unes, cœurs épris des longues confidences,

  Dans le fond des bosquets où jasent les ruisseaux,

  Vont épelant l’amour des craintives enfances

  Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux;

  D’autres, comme des sœurs, marchent lentes et graves

  A travers les rochers pleins d’apparitions,

  Où saint Antoine a vu surgir comme des laves

  Les seins nus et pourprés de ses tentations;

  Il en est, aux lueurs des résines croulantes,

  Qui dans le creux muet des vieux antres païens

  T’appellent au secours de leurs fièvres hurlantes,

  O Bacchus, endormeur des remords anciens!

  Et d’autres, dont la gorge aime les scapulaires,

  Qui, recélant un fouet sous leurs longs vêtements,

  Mêlent, dans le bois sombre et les nuits solitaires,

  L’écume du plaisir aux larmes des tourments.

  O vierges, ô démons, ô monstres, ô martyres,

  De la réalité grands esprits contempteurs,

  Chercheuses d’infini, dévotes et satyres,

  Tantôt pleines de cris, tantôt pleines de pleurs,

  Vous que dans votre enfer mon âme a poursuivies,

  Pauvres sœurs, je vous aime autant que je vous plains,

  Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies,

  Et les urnes d’amour dont vos grands cœurs sont pleins!

  * * *

  Lost Women

  Like pensive cattle lying on the sand, they turn their eyes towards the horizon of the seas, and their feet as they reach for each other and their joining hands feel sweet languors and bitter shiverings.

  Some, hearts in love with long, confidential talks, walk in the depths of copses where streams babble, telling over the loves of apprehensive childhood, and cut into the green wood of young shrubs.

  Others, like sisters, walk slowly and solemnly among rock
s peopled with apparitions, where Saint Anthony saw rising up, like boiling lava, the naked, crimson-tinged breasts of his temptations.

  There are some who, by the light of melting resin torches, in the silent hollows of old pagan caves, call on your help in their howling fevers, o Bacchus, duller of ancient remorse!

  And others, whose bosoms love the scapular, who, hiding a whip under their long garments, mingle, in the dark wood and in solitary nights, the foam of pleasure with the tears of tortures.

  O virgins, o devils, o monsters, o martyrs! Great souls contemptuous of reality, seekers of the infinite, saints and satyresses, now full of cries, now full of tears,

  You whom my soul has pursued into your own hell, poor sisters, I love you as much as I pity you, for your bleak sufferings, your unquenched thirsts, and the springs of love with which your great hearts are full.

  65 (CXII) Les Deux Bonnes Sœurs

  La Débauche et la Mort sont deux aimables filles,

  Prodigues de baisers et riches de santé,

  Dont le flanc toujours vierge et drapé de guenilles

  Sous l’éternel labeur n’a jamais enfanté.

  Au poète sinistre, ennemi des familles,

  Favori de l’enfer, courtisan mal renté,

  Tombeaux et lupanars montrent sous leurs charmilles

  Un lit que le remords n’a jamais fréquenté.

  Et la bière et l’alcôve en blasphèmes fécondes

  Nous offrent tour à tour, comme deux bonnes sœurs,

  De terribles plaisirs et d’affreuses douceurs.

  Quand veux-tu m’enterrer, Débauche aux bras immondes?

  O Mort, quand viendras-tu, sa rivale en attraits,

  Sur ses myrtes infects enter tes noirs cyprès?

  * * *

  The Two Good Sisters

  Debauchery and Death are two good-hearted girls, free with their kisses and rich in good health, whose loins, ever virgin and draped in rags, though eternally ploughed, have never borne fruit.

  To the sinister poet, enemy of families, favourite of hell, ill-provided courtier, tombs and brothels offer, under their arbours, a bed where remorse has never laid its head.

  And the bier and the alcove abounding in blasphemies offer us in turn, like two kind sisters, terrible pleasures and hideous sweetnesses.

  When will you bury me, o Debauchery of the unclean arms? O Death, her rival in attraction, when will you come and, upon her stinking myrtle, graft your black cypress boughs?

  66 (CXIII) La Fontaine de Sang

  Il me semble parfois que mon sang coule à flots,

  Ainsi qu’une fontaine aux rythmiques sanglots.

  Je l’entends bien qui coule avec un long murmure,

  Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.

  A travers la cité, comme dans un champ clos,

  Il s’en va, transformant les pavés en îlots,

  Désaltérant la soif de chaque créature,

  Et partout colorant en rouge la nature.

  J’ai demandé souvent à des vins captieux

  D’endormir pour un jour la terreur qui me mine;

  Le vin rend l’œil plus clair et l’oreille plus fine!

  J’ai cherché dans l’amour un sommeil oublieux;

  Mais l’amour n’est pour moi qu’un matelas d’aiguilles

  Fait pour donner à boire à ces cruelles filles!

  * * *

  The Fountain of Blood

  I sometimes feel that my blood is flowing in waves, like a fountain with its rhythmical sobs. I can hear it clearly, flowing with a long, murmuring sound, but I touch my body in vain to find the wound.

  Through the city, as if in an enclosed arena, it goes, turning the paving-stones into islets, slaking the thirst of every creature and everywhere colouring nature red.

  I have often asked heady wines to numb for a day the terror which eats away at me; wine makes the eye clearer and the ears sharper!

  I have sought forgetful sleep in love; but love is nothing but a mattress of needles, made to give those cruel girls something to drink!

  67 (CXVI) Un Voyage à Cythère

  Mon cœur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeux

  Et planait librement à l’entour des cordages;

  Le navire roulait sous un ciel sans nuages,

  Comme un ange enivré d’un soleil radieux.

  Quelle est cette île triste et noire? – C’est Cythère,

  Nous dit-on, un pays fameux dans les chansons,

  Eldorado banal de tous les vieux garçons.

  Regardez, après tout, c’est une pauvre terre.

  – Ile des doux secrets et des fêtes du cœur!

  De l’antique Vénus le superbe fantôme

  Au-dessus de tes mers plane comme un arôme,

  Et charge les esprits d’amour et de langueur.

  Belle île aux myrtes verts, pleine de fleurs écloses,

  Vénérée à jamais par toute nation,

  Où les soupirs des cœurs en adoration

  Roulent comme l’encens sur un jardin de roses

  Ou le roucoulement éternel d’un ramier!

  – Cythère n’était plus qu’un terrain des plus maigres,

  Un désert rocailleux troublé par des cris aigres.

  J’entrevoyais pourtant un objet singulier!

  Ce n’était pas un temple aux ombres bocagères,

  Où la jeune prêtresse, amoureuse des fleurs,

  Allait, le corps brûlé de secrètes chaleurs,

  Entrebâillant sa robe aux brises passagères;

  Mais voilà qu’en rasant la côte d’assez près

  Pour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches,

  Nous vîmes que c’était un gibet à trois branches,

  Du ciel se détachant en noir, comme un cyprès.

  De féroces oiseaux perchés sur leur pâture

  Détruisaient avec rage un pendu déjà mûr,

  Chacun plantant, comme un outil, son bec impur

  Dans tous les coins saignants de cette pourriture;

  Les yeux étaient deux trous, et du ventre effondré

  Les intestins pesants lui coulaient sur les cuisses,

  Et ses bourreaux, gorgés de hideuses délices,

  L’avaient à coups de bec absolument châtré.

  Sous les pieds, un troupeau de jaloux quadrupèdes,

  Le museau relevé, tournoyait et rôdait;

  Une plus grande bête au milieu s’agitait

  Comme un exécuteur entouré de ses aides.

  Habitant de Cythère, enfant d’un ciel si beau,

  Silencieusement tu souffrais ces insultes

  En expiation de tes infâmes cultes

  Et des péchés qui t’ont interdit le tombeau.

  Ridicule pendu, tes douleurs sont les miennes!

  Je sentis, à l’aspect de tes membres flottants,

  Comme un vomissement, remonter vers mes dents

  Le long fleuve de fiel des douleurs anciennes;

  Devant toi, pauvre diable au souvenir si cher,

  J’ai senti tous les becs et toutes les mâchoires

  Des corbeaux lancinants et des panthères noires

  Qui jadis aimaient tant à triturer ma chair.

  – Le ciel était charmant, la mer était unie;

  Pour moi tout était noir et sanglant désormais,

  Hélas! et j’avais, comme en un suaire épais,

  Le cœur enseveli dans cette allégorie.

  Dans ton île, ô Vénus! je n’ai trouvé debout

  Qu’un gibet symbolique où pendait mon image…

  – Ah! Seigneur! donnez-moi la force et le courage

  De contempler mon cœur et mon corps sans dégoût!

  * * *

  A Voyage to Cythera

  My heart, like a bird, was hovering joyously and circling freely around the rigging; the ship was rolling under a cloudless sky like an angel drunk on radiant sunlight.

  What is that black, gloomy island? – It is Cythera, they said, a
land famous in songs, the banal Eldorado of all old bachelors. Look: after all, it’s not much of a place.

  – Isle of sweet secrets and joys of the heart! The proud ghost of the Venus of antiquity floats like a perfume above your seas, filling minds with love and languor.

  Fair isle of green myrtles, covered in full-blown flowers, ever venerated by all peoples, where the sighs of adoring hearts waft like incense over a rose garden,

  Or the eternal cooing of a dove! – Cythera was now nothing but the most meagre of lands, a rocky desert disturbed by sharp cries. I could half make out, however, a remarkable object!

  It was not a temple set in bosky shades, where the young priestess, in love with the flowers, went forth, her body burning with secret heats, half-opening her robe to the passing breezes;

  But, as we sailed near enough to the coast to disturb the birds with our white sails, we saw that it was a three-branched gibbet, standing out black against the sky, like a cypress.

  Fierce birds perched on their food were furiously destroying a ripe, hanging corpse, each one planting his dirty beak, like an implement, in every bleeding corner of the rotten mass.

  The eyes were two holes, and from the ruins of the belly the heavy intestines were running down his thighs, and his torturers, gorged with hideous titbits, had, with their beaks, completely castrated him.