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Selected Poems (Penguin Classics) Page 16
Selected Poems (Penguin Classics) Read online
Page 16
Through the storm, and the snow, and the frost, it is the light pulsating on our black horizon; it is the famous inn promised in the book where we shall eat, and sleep, and sit down;
It is an Angel who holds in his magnetic fingers sleep and the gift of ecstatic dreams, who makes up the bed of the poor and naked;
It is the glory of the gods, the mystic granary, the poor man’s purse and his ancient fatherland, it is the portico open on to the unknown Heavens!
74 (CXXIV) La Fin de la Journée
Sous une lumière blafarde
Court, danse et se tord sans raison
La Vie, impudente et criarde.
Aussi, sitôt qu’à l’horizon
La nuit voluptueuse monte,
Apaisant tout, même la faim,
Effaçant tout, même la honte,
Le Poète se dit: «Enfin!
Mon esprit, commes mes vertèbres,
Invoque ardemment le repos;
Le cœur plein de songes funèbres,
Je vais me coucher sur le dos
Et me rouler dans vos rideaux,
O rafraîchissantes ténèbres!»
* * *
The End of the Day
Under a bleak white light she runs, dances and writhes without reason – Life, shameless and shrill. And so, as soon as on the horizon
Voluptuous night rises, calming everything, even hunger, blotting out everything, even shame, the Poet says to himself, ‘At last!
‘My spirit, like my spine, ardently prays for rest; with a heart full of funereal dreams,
‘I shall lie down on my back and roll myself up in your curtains, o refreshing darkness!’
75 (cxxv) Le Rêve d’un Curieux
A F. N.
Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse,
Et de toi fais-tu dire: «Oh! l’homme singulier!»
– J’allais mourir. C’était dans mon âme amoureuse,
Désir mêlé d’horreur, un mal particulier;
Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse.
Plus allait se vidant le fatal sablier,
Plus ma torture était âpre et délicieuse;
Tout mon cœur s’arrachait au monde familier.
J’étais comme l’enfant avide du spectacle,
Haïssant le rideau comme on hait un obstacle…
Enfin la vérité froide se révéla:
J’étais mort sans surprise, et la terrible aurore
M’enveloppait. – Eh quoi! n’est-ce donc que cela?
La toile était levée et j’attendais encore.
* * *
The Dream of a Curious Man
Do you know, as I do, how suffering can be savoured, and do you make people say of you, ‘What a strange man!’ I was going to die. My amorous soul felt desire mingled with horror, an illness peculiar to itself;
Anguish and lively hope, without any impulse to protest. The lower the fatal hourglass sank, the more savage and delicious was my torture; all my heart was tearing itself away from the familiar world.
I was like the child desperate to see the play, hating the curtain as one hates a barrier… At last the cold truth revealed itself:
I had died without surprise, and the terrible dawn was enfolding me. – What! Is that all?’ The curtain had risen and I was still waiting.
76 (CXXVI) Le Voyage
A Maxime Du Camp
I
Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit.
Ah! que le monde est grand à la clarté des lampes!
Aux yeux du souvenir que le monde est petit!
Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le cœur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers:
Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme;
D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les yeux d’une femme,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums.
Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent
D’espace et de lumière et de cieux embrasés;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.
Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir; cœurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours: Allons!
Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom!
II
Nous imitons, horreur! la toupie et la boule
Dans leur valse et leurs bonds; même dans nos sommeils
La Curiosité nous tourmente et nous roule,
Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.
Singulière fortune où le but se déplace,
Et, n’étant nulle part, peut être n’importe où!
Où l’Homme, dont jamais l’espérance n’est lasse,
Pour trouver le repos court toujours comme un fou!
Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie;
Une voix retentit sur le pont: «Ouvre l’œil!»
Une voix de la hune, ardente et folle, crie:
«Amour… gloire… bonheur!» Enfer! c’est un écueil!
Chaque îlot signalé par l’homme de vigie
Est un Eldorado promis par le Destin;
L’Imagination qui dresse son orgie
Ne trouve qu’un récif aux clartés du matin.
O le pauvre amoureux des pays chimériques!
Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer,
Ce matelot ivrogne, inventeur d’Amériques
Dont le mirage rend le gouffre plus amer?
Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue,
Rêve, le nez en l’air, de brillants paradis;
Son œil ensorcelé découvre une Capoue
Partout où la chandelle illumine un taudis.
III
Etonnants voyageurs! quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers!
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers.
Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile!
Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizons.
Dites, qu’avez-vous vu?
IV
«Nous avons vu des astres
Et des flots; nous avons vu des sables aussi;
Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres,
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.
La gloire du soleil sur la mer violette,
La gloire des cités dans le soleil couchant,
Allumaient dans nos cœurs une ardeur inquiète
De plonger dans un ciel au reflet alléchant.
Les plus riches cités, les plus grands paysages,
Jamais ne contenaient l’attrait mystérieux
De ceux que le hasard fait avec les nuages.
Et toujours le désir nous rendait soucieux!
– La jouissance ajoute au désir de la force.
Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d’engrais,
Cependant que grossit et durcit ton écorce,
Tes branches veulent voir le soleil de plus près!
Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace
Que le cyprès? – Pourtant nous avons, avec soin
Cueilli quelques croquis pour votre album vorace,
Frères qui trouvez b
eau tout ce qui vient de loin!
Nous avons salué des idoles à trompe;
Des trônes constellés de joyaux lumineux;
Des palais ouvragés dont la féerique pompe
Serait pour vos banquiers un rêve ruineux;
Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse;
Des femmes dont les dents et les ongles sont teints,
Et des jongleurs savants que le serpent caresse.»
V
Et puis, et puis encore?
VI
«O cerveaux enfantins!
Pour ne pas oublier la chose capitale,
Nous avons vu partout, et sans l’avoir cherché,
Du haut jusques en bas de l’échelle fatale,
Le spectacle ennuyeux de l’immortel péché:
La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,
Sans rire s’adorant et s’aimant sans dégoût;
L’homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,
Esclave de l’esclave et ruisseau dans l’égout;
Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote;
La fête qu’assaisonne et parfume le sang;
Le poison du pouvoir énervant le despote,
Et le peuple amoureux du fouet abrutissant;
Plusieurs religions semblables à la nôtre,
Toutes escaladant le ciel; la Sainteté,
Comme en un lit de plume un délicat se vautre,
Dans les clous et le crin cherchant la volupté;
L’Humanité bavarde, ivre de son génie,
Et, folle maintenant comme elle était jadis,
Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie:
‘O mon semblable, ô mon maître, je te maudis!’
Et les moins sots, hardis amants de la Démence,
Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,
Et se réfugiant dans l’opium immense!
– Tel est du globe entier l’éternel bulletin.»
VII
Amer savoir, celui qu’on tire du voyage!
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image:
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui!
Faut-il partir? rester? Si tu peux rester, reste;
Pars, s’il le faut. L’un court, et l’autre se tapit
Pour tromper l’ennemi vigilant et funeste,
Le Temps! Il est, hélas! des coureurs sans répit,
Comme le Juif errant et comme les apôtres,
A qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
Pour fuir ce rétiaire infâme; il en est d’autres
Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.
Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine,
Nous pourrons espérer et crier: En avant!
De même qu’autrefois nous partions pour la Chine,
Les yeux fixés au large et les cheveux au vent,
Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres
Avec le cœur joyeux d’un jeune passager.
Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres,
Qui chantent: «Par ici! vous qui voulez manger
Le Lotus parfumé! c’est ici qu’on vendange
Les fruits miraculeux dont votre cœur a faim;
Venez vous enivrer de la douceur étrange
De cette après-midi qui n’a jamais de fin»?
A l’accent familier nous devinons le spectre
Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.
«Pour rafraîchir ton cœur nage vers ton Electre!»
Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.
VIII
O Mort, vieux capitaine, il est temps! levons l’ancre!
Ce pays nous ennuie, ô Mort! Appareillons!
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,
Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons!
Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte!
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau!
* * *
The Voyage
I
For the child, in love with maps and prints, the universe is equal to his vast appetite. Oh, how big the world is by lamplight! In the eyes of memory, how small the world is!
One morning we leave, our brains full of fire, our hearts swollen with resentment and bitter desires, and we go, following the rhythm of the waves, rocking our infinity on the finitude of the seas:
Some of us happy to flee a dishonoured country; others, the horror of their cradles, and a few, astrologers drowned in the eyes of a woman, the tyranny of Circe and her dangerous perfumes.
So as not to be changed into animals, they drink deep of space and light and flaming skies; biting ice and burning suns slowly rub out the marks of kisses.
But the real travellers are those who leave for leaving’s sake; their hearts are light as balloons, they never diverge from the path of their fate and, without knowing why, always say, ‘Let’s go.’
They are the ones whose desires have the shape of clouds, and who dream, as a new recruit dreams of cannon fire, of limitless pleasures, ever-changing, unknown, which the human mind has never been able to name.
II
We imitate, horror! the top and the ball in their waltzing and bouncing; even in our sleep Curiosity torments us and spins us about, like a cruel Angel whipping suns.
Strange fate whose objective is constantly moving and which, being nowhere, can be anywhere! Where Man, whose hope never tires, seeks repose by running for ever like a madman!
Our soul is a three-master searching for its Icaria. A voice calls out from the bridge, ‘Keep your eyes open!’ From the crow’s-nest a voice, ardent and wild, cries, ‘Love… glory… happiness!’ Damnation! It’s a rock.
Each islet spotted by the lookout is an Eldorado promised by Destiny; Imagination, already setting up its orgy, finds only a reef in the light of morning.
O the poor lover of chimerical countries! Shall we clap him in irons, throw him over the side, that drunken sailor, discoverer of Americas whose mirage makes the salt depths even more bitter?
He is like the old vagabond shuffling in the mud and dreaming, with his nose in the air, of brilliant paradises; his bewitched eye discovers a Capua in each corner where the candle lights up a slum room.
III
Astonishing travellers! what noble tales we read in your eyes, deep as the seas! Show us the jewel-cases of your rich memories, those wonderful gems made of stars and ethers.
We want to travel without steam or sail! Won’t you relieve the boredom of our imprisonment by projecting on our minds, stretched tight as a canvas, your memories in their settings of horizons?
Tell us, what did you see?
IV
‘We saw stars and waves; we saw sands too; and, in spite of many shocks and unexpected disasters, we were often bored, there as here.
‘The glory of the sun on the violet sea, the glory of cities in the setting sun, sparked off in our hearts a restless desire to plunge into a sky with alluring reflections.
‘The richest cities, the broadest landscapes, never held the mysterious attraction of those which chance makes out of the clouds. And desire always made us uneasy!
‘– Enjoyment adds strength to desire. Desire, old tree that pleasure manures, as your bark thickens and hardens, your branches want to see the sun nearer at hand.
‘Will you always go on growing, great tree hardier than the cypress? – And yet we did, carefully, make some sketches for your insatiable album, dear brothers who think anything is beautiful that has come from far away!
‘We saluted idols with elephants’ trunks; thrones studded with shining jewels; fine-wrought palaces whose faery splendour would be a ruinous dream for your bankers;
‘Costumes that are an intoxication for the eyes; women w
hose teeth and nails are dyed, and knowing jugglers whom serpents caress.’
V
And then, and then? What then?
VI
‘O childish brains!
‘Not to forget the most important thing, we saw everywhere, and without having to look for it, from the top to the bottom of the ladder of existence, the tedious spectacle of immortal sin:
‘Woman, a slave, contemptible, proud and stupid, adoring herself without laughing and loving herself without disgust; man, a greedy tyrant, lecherous, hard and covetous, slave to the slave and a gutter in the sewer;
‘The executioner relishing his task, the sobbing martyr, the festival seasoned and perfumed with blood; the poison of power unmanning the despot and the people in love with the stultifying whip.
‘Several religions similar to ours, all taking heaven by storm; Sainthood, like a voluptuary wallowing in a feather-bed, seeking its pleasure among nails and horsehair.
‘Chattering Humanity, intoxicated with its own genius and mad now as ever, shouting at God, in its furious death agony, “O my equal, o my master, I curse you!”
‘And the less stupid, the bold lovers of Dementia, fleeing from the great herd penned by Destiny, and taking refuge in immense opium! – That is the eternal news from the entire globe.’